5 étoiles. « L’Histoire de Souleymane ». Souleymane pédale clandestinement, et en étant exploité, dans les rues de Paris pour livrer des repas. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demandeur d’asile. S’il est reconnu comme tel, alors il pourra obtenir les papiers qui lui permettront de séjourner en France et d’y travailler légalement. Pour mettre toutes les chances de son côté, il prépare cette entrevue en tentant d’apprendre par cœur, et avec difficulté, une histoire qui n’est pas la sienne.
Porté par un acteur non-professionnel (comme presque toute la distribution) dont la performance exceptionnelle lui a valu un prix d’interprétation à Cannes, le film suit, caméra à l’épaule et dans un rythme haletant qui épouse les folles courses à vélo des livreurs, le destin de Souleymane qui va se jouer dans 48 heures. Ces deux jours et deux nuits qui précèdent cette échéance sont un condensé de ce que vit Souleymane au quotidien dans un Paris où la misère des uns exploite celle des autres. C’est saisissant, au plus près de la réalité, sans sensiblerie et profondément humain. La dernière scène est terriblement bouleversante. Il y a des films qui vous laissent KO à la fin de leur projection et « L’Histoire de Souleymane » appartient à cette catégorie.
5 étoiles. « Miséricorde ». Suite au décès de son ancien patron, Jérémie revient dans son village d’enfance pour l’enterrement. Au lieu de rentrer chez lui après la cérémonie, il s’installe chez Martine, la veuve. Il occupe la chambre de Vincent, le fils, avec lequel Jérémie a été autrefois ami et qui ne voit pas d’un très bon œil la présence de Jérémie : il est persuadé que celui-ci veut séduire sa mère. Les craintes de Vincent ajoutées à un voisin qui entretient une relation particulière avec Jérémie et un abbé aux intentions peu claires vont faire que le séjour du jeune homme va prendre une tournure inattendue.
Comédie tragi-comique aux allures de thriller provençal, le dernier film d’Alain Guiraudie a comme moteur le désir au sens large. Il prend des formes différentes et surprenantes avec comme point commun la tension qui règne entre des personnages qui se tournent autour, se rapprochent, s’éloignent ou s’affrontent. Ce ballet est formidablement joué, mis en scène et photographié dans des magnifiques décors automnaux. Le film est par moment franchement jouissif lorsqu’il flirte avec la morale, les codes de la sexualité et le second degré. A la fois drôle, noir et provocateur, « Miséricorde » ravira les fans d’un cinéma qui sort des sentiers battus tout en gardant son ancrage dans une certaine réalité.
5 étoiles. « Les Graines du figuier sauvage ». Pour Iman, sa promotion en tant que juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran est l’aboutissement de 20 ans de carrière au service du régime. Il va enfin pouvoir améliorer le train de vie de sa femme et de ses deux filles, l’une adolescente, l’autre majeure. Mais à peine nommé, un immense mouvement de protestation secoue le pays. Dépassé par l’ampleur des événements, la justice devient expéditive au grand damne d’Iman qui décide malgré tout de s’y conformer. Chez lui, la révolution gronde également rendant Iman de plus en plus méfiant à l’égard de sa femme et de ses filles.
Prix spécial du Jura au Festival de Cannes 2024, « Les Graines du figuier sauvage » mérite amplement cette récompense. Le film transpose de manière brillante, avec un seul (petit) bémol sur sa longueur (2h45), les affres du régime iranien au sein d’une famille confrontée à un mari et à un père qui se sentant menacé va reproduire auprès des siens les méthodes utilisées par la dictature auquel il s’est soumis. Film hautement politique, incrusté de courtes séquences tournées avec des portables au moment des manifestations du mouvement « Femme, vie, liberté » à l’automne 2022, « Les Graines du figuier sauvage » entraîne l’audience dans une spirale infernale avec une dernière heure où la tension est à son comble grâce à une mise en scène formidablement anxiogène et une distribution parfaite.
4 étoiles. Juré n°2. Justin est désigné comme juré n°2 dans le procès d’un homme qui est accusé d’avoir tué sa petite amie. Quand l’accusation décrit les circonstances présumées du meurtre de la jeune femme, Justin découvre qu’il pourrait bien être à l’origine de cet acte criminel. Il se retrouve face à un dilemme moral entre se protéger ou dévoiler ce qu’il sait au risque de se retrouver à son tour dans le rôle de l’accusé.
Le 42ème et dernier film de Clint Eastwood, au sens propre et figuré, est une indéniable réussite grâce à un excellent scénario qui tient en haleine du début à la fin, une distribution convaincante et une mise en scène qui en allant droit au but renforce la tension qui petit à petit dévore ce jeune homme qui se trouve confronté une nouvelle fois à lui-même après avoir surmonté un passé compliqué. Mais au-delà de ce cas individuel et de la question que l’on se pose inévitablement en visionnant le film « qu’aurais-je fait à sa place ? », c’est la justice dans son ensemble que « Juré n°2 » interroge avec ses a priori, que ce soit au niveau des professionnels ou du jury qui est composé d’hommes et de femmes dont le parcours personnel influence forcément leur jugement.
4 étoiles. « All Shall Be Well ». Angie et Pat vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de trente ans. Elles ont un train de vie plutôt confortable et sont généreuses avec leurs proches. Leur couple est un pilier pour leur entourage familial et amical. Mais lorsque Pat décède subitement, Angie doit faire face à la famille de cette dernière, qui a le droit pour elle et des problèmes financiers, concernant les modalités de l’enterrement, puis de l’héritage.
« All Shall Be Well » (« Tout ira bien » en français), titre aux accents ironiques, a reçu le Teddy Award du meilleur film de fiction à la Berlinale 2024. Filmant le plus souvent ses personnages de près et avec une certaine lenteur, ce qui les rend très touchants grâce aussi à l’excellente interprétation de celles et ceux qui les jouent, le réalisateur brosse avec une grande sensibilité non seulement cette confrontation entre la famille de la défunte et Angie qui pensait en faire partie intégrante, mais également le soutien que cette dernière reçoit de son « autre » famille : celle du cœur. Et si finalement c’était celle-là la « vraie » famille ?
4 étoiles. « Le Comte de Monte-Cristo ». Marseille. 1815. Victime d’un complot dont la jalousie est le moteur, Edmond Dantès, 22 ans, est arrêté le jour de son mariage. Il est détenu dans d’horribles conditions au château d’If. Pendant son incarcération, il fait la connaissance de l’abbé Faria qui va lui révéler un secret qui lui permettra de devenir immensément riche après son évasion 14 ans plus tard. Sous l’identité du Comte de Monte-Cristo, il va alors patiemment élaborer un plan pour se venger des trois hommes qui l’ont trahi.
Cette nouvelle adaptation du célèbre roman d’Alexandre Dumas ne lésine pas sur les moyens puisque le budget se monte à 43 millions d’euros. Et ça se voit : les décors, la plupart naturels, les costumes, le maquillage et la photographie sont un régal pour l’œil. Quant à la distribution, elle est excellente. Pierre Niney, particulièrement convaincant quand il endosse le rôle du Comte de Monte-Cristo, est entouré d’acteurs et d’actrices qui n’ont rien à lui envier. Quant au film en lui-même, on peut lui reprocher un manque d’émotions tant la machine est bien huilée. Mais pas de quoi bouter son plaisir. En effet, le long-métrage, c’est le cas de le dire mais les trois heures passent très vite grâce à de multiples rebondissements, met fort bien en valeur le génie romanesque d’Alexandre Dumas.
3 étoiles. « Sauvages ». A Bornéo, en bordure de la forêt tropicale, Kéria recueille un bébé orang-outan, baptisé Oshi, après que sa mère ait été tué par des ouvriers qui coupaient des arbres. Au même moment, Selaï, son jeune cousin, vient habiter chez elle et son père afin de ne pas subir les conséquences du conflit entre sa famille qui vit dans la forêt et la compagnie qui cherche à la détruire. Suite à un concours de circonstances Kéria, Sélaï et Oshi vont affronter, en bravant de nombreux dangers, ceux qui veulent anéantir la forêt de leurs ancêtres.
Après le succès de « Ma vie de Courgette », le réalisateur suisse Claude Barras redonne vie à ses créatures en pâte à modeler avec un conte écologique fort bien réussi sur la forme à l’image, par exemple, de l’expression des yeux du singe Oshi qui ferait fondre un bloc de glace ! Le fond est par contre un peu moins enthousiasmant en raison d’une première partie qui peine à décoller et d’un scénario un peu trop prévisible qui cible avant tout le jeune public. Ceci étant dit, la magie opère tout de même dans l’ensemble grâce à certaines scènes qui peuvent se révéler drôles, sensibles, politiques ou encore émouvantes.
3 étoiles : « Joker : Folie à Deux ». Arrêté et interné dans une prison pour délinquants avec des problèmes psychiatriques après avoir commis cinq crimes sous les traits du Joker, Arthur Fleck est en attente de son procès. A quelques jours de celui-ci, il fait la connaissance de Harley Quinn dont il tombe follement amoureux. Partageant le même délire, d’où le titre du film « La Folie à Deux », ils vont s’échapper dans un monde parallèle, jusqu’à ce que la réalité les rattrape. Ou pas.
Après l’énorme succès critique et public de « Joker » en 2019, cette suite, qui en est véritablement une puisqu’elle commence là où se terminait la première partie, était très attendue. Trop sans doute. Certes, le film n’est pas mauvais. Mais cette « Folie à Deux » ne décolle malheureusement jamais vraiment. La faute à des chansons, exceptées celles qui sont mises en scène façon music-hall et qui sont un plus pour l’intrigue, qui étirent inutilement un scénario qui aurait de toute façon mérité d’être resserré, mieux ciblé et faire preuve de plus de …folie. Le film garde toutefois un attrait certain grâce à la performance de Joachin Phoenix qui est toujours aussi génialement fou, une mise en scène au cordeau et une photographie, une lumière ainsi que des décors qui vous attirent malgré tout dans le monde barré du Joker.
3 étoiles. « Le Fil ». Depuis qu’il a fait innocenter un assassin récidiviste quinze ans auparavant, Maître Jean Monier ne défend plus des personnes accusées de meurtre. Pourtant, sa rencontre avec Nicolas Milik, père de famille soupçonné d’avoir tué sa femme, va lui faire changer d’avis. Convaincu de l’innocence de son client, il reprend le chemin des assises et est prêt à tout pour qu’au terme du procès Nicolas Milik soit libéré.
Film de procès par excellence inspiré de faits réels, le film de et avec Daniel Auteuil vaut tout d’abord le détour pour la prestation de ses deux comédiens principaux, et tout particulièrement celle de Gregory Gadebois qui joue tout en retenue le rôle du présumé meurtrier. Leur performance ne suffit cependant pas toujours à faire oublier une certaine lenteur qui se dégage d’un film tourné à l’ancienne. On l’aurait souhaité plus tendu, à l’image de l’excellent « Le procès Goldman » de Cédric Kahn projeté sur les écrans l’année dernière. Malgré cette critique, « Le Fil » ne manque toutefois pas d’intérêt car il questionne l’intime conviction de l’avocat et la manière de la renforcer. Quitte à se tromper ?
2 étoiles. « Monsieur Aznavour », comme son titre l’indique, raconte l’histoire du célèbre artiste de son enfance de fils de réfugiés élevé dans la pauvreté jusqu’à ce qu’il accède à la reconnaissance nationale et internationale dans les années 70. Mais pour y parvenir, le « petit » Charles va devoir affronter bien des obstacles et faire des choix dans sa vie privée qui ne seront pas sans conséquences pour son proche entourage.
D’une facture très classique, le film suit de manière linéaire le parcours du chanteur (il n’est fait aucune mention de sa carrière d’acteur) en passant en revue des étapes importantes de sa vie. Il donne l’image d’un homme talentueux, obsédé par la réussite, les biens matériels et qui met tout en œuvre pour y parvenir. Cette approche rend, dans la seconde partie, le personnage plutôt antipathique : on suit ses pérégrinations avec distance et peu d’émotion malgré l’excellente performance de Tahar Rahim, le plaisir de croiser des artistes qui appartiennent à la culture française tels qu’Edith Piaf, Gilbert Bécaud ou encore Johnny Hallyday et celui, bien évidemment, d’entendre certaines des chansons les plus connues de Charles Aznavour.
2 étoiles. « L’amour ouf ». Jackie et Clotaire vivent dans le nord de la France dans les années 80. Elle est une brillante étudiante qui vit seule avec son père, sa mère étant décédée. Il est issu d’une famille d’ouvriers et a beaucoup de peine à respecter les règles malgré les corrections qu’il reçoit de son paternel. Il passe ses journées à traîner et multiplie avec son frère et son meilleur ami les larcins. Mais quand les destins de Jackie et Clotaire se croisent, c’est l’amour fou. La vie s’efforcera de les séparer, mais l’amour n’est-il pas plus fort que tout ?
Les deux points forts de « L’amour ouf » sont sa bande originale et ses interprètes. A ce titre, le couple formé de Clotaire (Malik Frikah jeune et François Civil adulte) et Jackie (Mallory Wanecque jeune et Adèle Exarchopoulos adulte) crève l’écran. Sans eux et quelques excellents seconds rôles (Alain Chabat, Vincent Lacoste et Elodie Bouchez, notamment), le film serait proche de la mièvrerie malgré des scènes violentes et d’autres touchantes en raison d’un scénario qui en rajoute sans cesse et tire par conséquent en longueur (2h40 !). Il en est de même avec la façon de filmer de Gilles Lellouche qui en se voulant trop démonstrative finit par lasser. En résumé, pas ouf.
2 étoiles. « Emilia Perez ». Rita est une avocate douée. Elle travaille au service d’un cabinet qui non seulement ne reconnaît pas ses qualités, mais qui en plus défend des criminels plutôt que de servir la justice. Mais un jour, le chef d’un dangereux cartel fait appel à elle afin qu’elle l’aide à se retirer des affaires et à disparaître afin qu’il puisse réaliser le rêve qu’il caresse depuis des années : devenir une femme.
Prix du jury au Festival de Cannes 2024, Prix d’interprétation féminine remis aux quatre comédiennes principales du film et encensé par une large partie de la critique, « Emilia Perez » est un film déroutant aussi bien du point de vue de sa forme que de son fond. En effet, l’histoire est régulièrement entrecoupée de scènes de comédie musicale clinquantes et plus ou moins réussies (si les chorégraphies sont globalement splendides, certaines voix laissent à désirer) qui accentuent le côté bien peu réaliste du scénario. On a vraiment peine à croire que ce très méchant chef de cartel devienne tout à coup suite à sa transition un ange, ou presque. Pour apprécier le film, au demeurant d’une grande maîtrise technique et fort bien joué, mieux vaut donc croire aux contes de fées qui ne finissent toutefois pas forcément bien.
5 étoiles : à voir absolument, 4 étoiles : chaudement recommandé, 3 étoiles : ça vaut la peine, 2 étoiles : pas indispensable, 1 étoile : il y a mieux à faire, 0 étoile : à éviter